sous la Protection de L'Exarchat du Patriarche Œcuménique de Constantinople
Tout est possible à celui qui croit !
Pour restaurer la croix de procession de saint François de Laval, un simple citoyen a levé des fonds et mobilisé plusieurs experts. Voici comment son acte de foi a sauvé un trésor religieux.
Denis Racine
L’aventure commence au printemps 2019 à la basilique-cathédrale de Notre-Dame-de-Québec. Le curé, Mgr Denis Bélanger, tient une réception pour remercier les bénévoles du lieu de culte. Après avoir mentionné l’état des bâtiments, il confie à l’auditoire son désir de faire restaurer une œuvre d’art majeure du trésor religieux : la croix de procession de Mgr de Laval.
Cet objet liturgique a été fabriqué en France vers 1660 et apporté en Nouvelle-France dans les années subséquentes. Mgr François de Laval l’a utilisé le 11 juillet 1666 lors de la consécration de la première église paroissiale du pays, érigée sous le vocable de l’Immaculée Conception de Notre-Dame, qui deviendra la cathédrale en 1774. C’est l’une des trois croix de procession du XVIIe siècle qui subsistent encore au Canada.
L’œuvre mesure 81,2 cm de haut par 40,6 cm de large et son revêtement semble constitué de vermeil. Elle comporte des caractéristiques peu fréquentes qui indiquent que divers courants artistiques ont influencé son auteur. Par exemple, le Christ n’est pas couronné d’épines. Il est auréolé d’un soleil à figure humaine, évoquant peut-être le roi Louis XIV. Ses pieds sont cloués au montant, sans support, tandis que ceux de la Vierge, représentée sur la face arrière, reposent sur un croissant de lune. La croix elle-même est formée de bandes étroites avec décors de perles et de pirouettes en argent. Elle porte deux poinçons semblables, un « V » surmonté d’une couronne. La marque peut référer à la ville de Verdun, en France, comme lieu de réalisation, ou encore à l’année de fabrication.
Cette pièce d’orfèvrerie est cependant en mauvais état. Son bras droit semble affaissé et l’une de ses extrémités est détachée. Ses composantes métalliques sont ternies par l’accumulation de sulfures d’argent. Son nœud (au centre) montre des enfoncements, et sa hampe présente à la base des ondulations, des torsions et des soulèvements de surface. De plus, on ignore la condition de son ossature interne. Enfin, la perche qui supporte l’objet ne semble pas être de la bonne circonférence, ce qui risque d’entraîner un jeu de bascule lors de l’utilisation et de causer des dommages. Bref, une restauration majeure se profile à l’horizon. Selon une évaluation réalisée il y a plusieurs années, il s’agit d’un travail complexe et hasardeux.
Un homme de conviction
Un bénévole à la basilique-cathédrale de Notre-Dame-de-Québec écoute avec attention les propos de Mgr Bélanger. Sans se laisser décourager par l’ampleur de la tâche, il offre d’organiser à titre gracieux la remise en état de la croix de procession.
Yves Garneau n’est pas un spécialiste en restauration d’œuvres d’art. Mais ce catholique convaincu est doté d’une volonté de fer et d’une détermination inébranlable. À l’âge de 49 ans, tout en occupant un emploi à la Société de l’assurance automobile du Québec, il s’enrôle dans la réserve des Forces armées canadiennes, terminant sa carrière comme major et président du Musée des Voltigeurs de Québec. Il occupe successivement différents postes au sein de sa communauté, dont celui de directeur au conseil d’administration du Cercle de la Garnison de Québec. Maintenant, le retraité est bénévole à la basilique-cathédrale ainsi qu’à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, en plus de s’engager auprès des maisons Dauphine, Revivre et Mère-Mallet, de La Fripe et de La Bouchée généreuse, pour ne mentionner que celles-là. À 77 ans, il est dans une forme physique exceptionnelle. Il a remporté trois médailles d’or et enregistré trois records mondiaux en patinage de vitesse sur courte piste aux Jeux mondiaux d’hiver des maîtres, qui ont eu lieu à Innsbruck, en Autriche, en janvier 2020. On dit de lui qu’il a deux cœurs et trois poumons !
Avec cet homme, le projet est entre bonnes mains. Mais le travail est considérable. Par où commencer ?
Il faut un village…
Après avoir vérifié que la croix n’est pas classée comme bien culturel, Yves Garneau cherche un moyen de la transporter à l’extérieur de la basilique-cathédrale. Il s’entend alors avec Robert Lalande, ex-gestionnaire de l’Université Laval, pour fabriquer un magnifique coffret de bois afin de protéger l’œuvre. Il rencontre aussi Daniel Drouin, historien de l’art au Musée national des beaux-arts du Québec, qui accepte de collaborer bénévolement au projet. Sa première recommandation : consulter le Centre de conservation du Québec, qui dépend du ministère de la Culture et des Communications, pour obtenir des conseils permettant de réaliser ce délicat travail dans les règles de l’art. Le Centre confie à Blandine Daux, restauratrice à l’atelier archéologie et ethnologie, la tâche d’expertiser la croix et de suggérer une approche.
Yves Garneau pressent que tout cela ne sera pas gratuit. Il sollicite dans un premier temps plusieurs de ses amis et de ses connaissances. En décembre 2019, il a déjà recueilli 2 275 $. Le 3 mars, il présente son projet sur les ondes de MAtv, un réseau de télévision communautaire, après la diffusion de la messe matinale à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré. Les dons de 5 $, 10 $ ou 20 $ affluent. Finalement, plus de 100 personnes versent un total de 8 597 $.
Le 30 janvier 2020, une rencontre réunit la spécialiste Blandine Daux, l’artiste Daniel Abel, photographe de la basilique-cathédrale, et les artisans Robert Langlois et Carl Pilon, respectivement bijoutier-joaillier et technicien joaillier. L’Atelier Robert Langlois détient une expertise en soudure au microlaser. Tous acceptent de travailler ensemble pour assurer la pérennité de l’œuvre.
Dur travail de redressement
Puis arrive le coronavirus. L’équipe, dont la charge de travail individuelle est dès lors réduite, profite de l’occasion pour démarrer la restauration proprement dite. Elle débute par le démontage complet de l’objet sacré afin de déterminer la nature et l’étendue des dommages et de visualiser la structure interne.
Selon le rapport remis par Blandine Daux le 14 août, la croix n’est pas couverte de vermeil, mais bien d’argent fortement terni. À l’intérieur, le support de chêne a déjà subi une réparation, probablement à la suite d’une chute, et l’ossature des bras n’est pas à angle droit, ce qui cause leur affaissement. La structure a été solidifiée avec une plaque et des rivets d’acier, engendrant une oxydation qui contamine l’argenterie. De plus, des vis en laiton ont été employées pour fixer la couche de métal précieux au bois, qui s’est fendillé sous la pression. Elles auraient remplacé les chevilles originales en argent.
Il est donc convenu de conserver l’ossature de chêne et de substituer des pièces en argent à la quincaillerie en acier. Il faudra aussi mettre à l’équerre les bras avec la hampe, boucher les cavités des vis et réparer la fente qui fragilise le bois, avec de la colle de poisson. Enfin, les trous d’origine seront réutilisés pour l’assemblage final.
Pendant qu’on corrige la structure interne, Carl Pilon fabrique une tige de redressement en fer forgé pour procéder au débosselage du nœud, opération délicate s’il en est. Il fixe ce soutien à l’endroit où les branches se rencontrent, puis soude les pièces d’argent au laser.
Par la suite, la croix est livrée au Centre de conservation de Québec. Blandine Daux nettoie tous les éléments constituant l’œuvre. Elle utilise des méthodes électrochimiques et mécaniques pour dégager les sulfures d’argent qui ternissent la surface métallique. Entre-temps, deux ébénistes de Charlevoix, Lucien Lajoie et Daniel Gravel, confectionnent une base qui supportera l’objet liturgique lors de son entreposage ou pour sa présentation muséale. Enfin, la restauratrice ponce l’extrémité de la hampe de procession afin qu’elle s’insère adéquatement dans son nouveau socle, puis elle retouche le vernis.
Fiers de porter leur croix !
Au cours de ces opérations, tous les intervenants prennent des photos et des vidéos afin de documenter la démarche de réhabilitation de l’objet sacré. Daniel Abel, photographe de la basilique-cathédrale, réalise plus de 450 clichés !
Les travaux se terminent le 10 septembre 2020, dans le respect de l’échéancier et du budget. Puis, l’équipe remet la croix à Mgr Bélanger le 12 septembre 2020, dans le cadre des Journées du patrimoine religieux.
C’est ainsi qu’un groupe de talentueux experts et artisans, mobilisés par un citoyen d’une persévérance peu commune, a restauré pour la postérité un trésor sacré qui a marqué l’histoire du Québec. Cette belle aventure a été rendue possible grâce à l’engagement d’Yves Garneau, à la confiance de Mgr Denis Bélanger et à l’aide financière de plus d’une centaine de personnes. Espérons qu’elle inspirera la remise en état d’autres éléments de notre patrimoine.
Denis Racine est avocat, amateur d’histoire et membre titulaire de l’Académie internationale de généalogie.
Ce texte a été publié dans le numéro d’été 2021 du magazine Continuité disponible sur le site web : www.magazinecontinuite.com